C’est précisément cette dimension politique qui pose problème. L’affaire des kiosques de la Lonase  a rapidement dépassé le cadre technique pour devenir un affrontement entre le Parti socialiste et Pastef, les deux protagonistes ( Toussaint Manga Directeur général de la Lonase et Alioune Ndoye, maire socialiste de Dakar-Plateau),s’échangeant des propos virulents sur les réseaux sociaux.

Cette escalade verbale est préoccupante à plusieurs titres. Elle transforme une question de gouvernance urbaine en symbole politique, rendant difficile toute solution pragmatique. Elle polarise le débat public autour de logiques partisanes plutôt que d’encourager une réflexion sereine sur le modèle de ville souhaité pour Dakar.

Plus fondamentalement, cette politisation illustre un problème structurel : dans le Sénégal actuel, comment une entreprise publique nationale et une collectivité locale dirigée par l’opposition peuvent-elles cohabiter harmonieusement ? Le risque est que chaque désaccord technique devienne un terrain d’affrontement politique, au détriment de l’intérêt général.

Le dilemme développement versus ordre urbain

Au-delà des considérations politiques, ce conflit met en lumière un dilemme classique des villes africaines : comment concilier développement économique, particulièrement dans le secteur informel ou semi-formel, et respect des normes d’urbanisme ?

D’un côté, les kiosques de la Lonase représentent une activité économique réelle, créatrice d’emplois dans un contexte de chômage élevé. Ils offrent également un service de proximité aux citoyens, même si l’on peut débattre de la pertinence sociale des jeux de hasard.

De l’autre, l’anarchie urbaine a un coût : circulation piétonne entravée, image dégradée du quartier, difficultés pour les personnes à mobilité réduite, risques sanitaires et sécuritaires. Une ville moderne ne peut fonctionner sans un minimum d’ordre et de planification.

La question est donc : comment permettre l’activité économique sans sacrifier l’ordre urbain ? Des solutions existent : relocalisation des kiosques dans des espaces dédiés, modernisation et standardisation des installations, réglementation claire des horaires et des emplacements. Mais ces solutions nécessitent du dialogue, de la négociation et de la bonne volonté de part et d’autre.

Les zones d’ombre qui persistent

Plusieurs points mériteraient d’être éclaircis pour porter un jugement éclairé sur cette affaire. Depuis combien de temps exactement ces kiosques sont-ils installés ? Combien sont-ils et combien d’emplois génèrent-ils réellement ? Les autorisations invoquées par la Lonase existent-elles et sont-elles toujours valides ? Ont-elles été délivrées par la municipalité actuelle ou une précédente ? Les procédures de déguerpissement ont-elles respecté les droits des exploitants ?

Sans réponses à ces questions, il est difficile de déterminer qui a raison sur le plan strictement légal. Mais au-delà de la légalité, c’est la question de la légitimité qui se pose : quelle vision de la ville l’emportera ?

Quel modèle de ville pour Dakar-Plateau ?

Ce conflit est révélateur de deux visions divergentes pour l’avenir de Dakar-Plateau. D’un côté, une vision “moderniste” portée par la mairie, qui souhaite faire du quartier un espace ordonné, esthétique, à l’image des centres d’affaires internationaux. De l’autre, une approche plus pragmatique qui accepte une certaine mixité urbaine, où cohabitent activités formelles et informelles.

Aucune de ces visions n’est intrinsèquement supérieure à l’autre. Le tout est de savoir quelle ville les Dakarois souhaitent réellement, et qui a la légitimité démocratique pour trancher cette question. Le maire, élu au suffrage universel direct, peut légitimement se prévaloir d’un mandat populaire. Mais la Lonase, entreprise publique nationale, peut tout aussi légitimement invoquer l’intérêt économique général.

L’ultimatum d’un mois fixé par Alioune Ndoye laisse trois scénarios  possibles. Le premier, l’affrontement : la Lonase refuse de céder, soutenue par le pouvoir central, et la mairie passe aux actes avec des déguerpissements forcés. Cette option risque de créer des tensions violentes et d’aggraver la fracture politique.

Le deuxième scénario, la capitulation : la Lonase cède et retire ses kiosques, mais au prix de pertes d’emplois et de tensions sociales avec les exploitants. Cette solution satisferait le maire mais poserait la question du devenir des personnes affectées.

Le troisième scénario, et sans doute le plus souhaitable, serait la négociation : les deux parties acceptent de dialoguer pour trouver un compromis, peut-être avec la médiation du ministère de tutelle ou d’autres autorités. Cela pourrait déboucher sur une relocalisation, une réduction du nombre de kiosques, ou une mise aux normes des installations existantes.

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