Quand l’accusé réclame les preuves et se heurte au mutisme administratif
Dans un retournement de situation aussi ironique qu’inquiétant, c’est l’accusé qui frappe aux portes pour obtenir les pièces du dossier. Macky Sall, ancien président du Sénégal au cœur de la controverse sur la “dette cachée”, se retrouve dans une position singulière : demandeur insistant face à une administration devenue sourde.
Le paradoxe d’une défense entravée
Les deux institutions majeures de la République à savoir le ministère des Finances et du Budget, et la Cour des comptes gardent un silence pesant face aux sollicitations de l’ancien chef de l’État. Une situation qui soulève une question dérangeante : comment se défendre efficacement quand ceux qui vous accusent refusent de partager les éléments du dossier ?
«Notre demande vise à obtenir des documents et des données brutes», explique Me Pierre-Olivier Sur, conseil de Macky Sall. Une requête qui paraît légitime dans tout État de droit : accéder aux pièces pour construire sa défense. Pourtant, les correspondances demeurent sans écho, même après relance, qualifiée par l’avocat français d’«absolument transparente et républicaine».
Face à ce mur de silence, la stratégie de Macky Sall s’apprête à changer de registre. Le temps de la courtoisie administrative touche à sa fin. «En l’absence de réponse, nous prévoyons une mise en demeure formelle», prévient Me Sur, avant d’évoquer des recours plus musclés : référé judiciaire ou saisine des autorités compétentes.
Cette montée en puissance n’est pas qu’une tactique juridique. Elle révèle un enjeu fondamental : celui du respect du contradictoire, ce principe cardinal qui garantit à tout accusé le droit de connaître et de contester les charges retenues contre lui.
Au-delà du juridique, un combat politique
L’ancien président ne se contente pas de chercher à blanchir son nom devant les tribunaux. Son combat revêt une dimension politique assumée : «désamorcer les manipulations et replacer le débat sur son véritable terrain, celui des faits vérifiables et du droit», selon son avocat.
Car c’est là tout l’enjeu : sortir d’une polémique nourrie d’accusations et de suspicions pour entrer dans l’arène froide des chiffres, des concepts économiques et juridiques. Macky Sall veut imposer une question technique : qu’est-ce qui constitue juridiquement une dette, et qu’est-ce qui n’en est pas ?
Pour y répondre, l’ancien président prévoit de s’appuyer sur des experts internationaux de finances publiques. Mais encore faut-il avoir accès aux données brutes pour les soumettre à leur expertise.
Les questions qui fâchent
Ce silence administratif interroge. Pourquoi ces documents ne sont-ils pas transmis ? S’agit-il d’une simple lenteur bureaucratique, ou d’une stratégie délibérée ? Le pouvoir actuel craint-il que l’analyse technique ne démente le récit politique de la “dette cachée” ?
À moins que l’inverse ne soit vrai : ces documents contiennent-ils des révélations embarrassantes que Macky Sall préfère voir rester dans l’ombre, comptant sur un refus de communication pour crier à l’entrave ?
Un test pour la démocratie sénégalaise
Au-delà du destin personnel d’un ancien président, cette affaire teste la solidité des institutions démocratiques sénégalaises. Le droit d’accès aux documents administratifs, le principe du contradictoire, l’indépendance de la justice : autant de piliers dont la résistance sera éprouvée dans les semaines à venir.
Car si Macky Sall obtient gain de cause et que les documents révèlent l’absence de dette cachée, ce sera un camouflet politique majeur pour le pouvoir actuel. Si au contraire les pièces confirment les accusations, l’ancien président aura lui-même fourni les armes de sa condamnation.
Dans tous les cas, le Sénégal et sa démocratie ont tout à gagner d’une clarification fondée sur des faits vérifiables plutôt que sur des procès d’intention. Le silence actuel ne profite qu’à l’opacité et à la suspicion.`
La balle est désormais dans le camp du ministère des Finances et de la Cour des comptes. Leur réponse ou leur silence persistant en dira long sur l’état réel de la gouvernance démocratique au Sénégal.



