Le bras de fer qui oppose actuellement Alioune Ndoye, maire socialiste de Dakar-Plateau, à la Loterie nationale sénégalaise (Lonase) dirigée par Toussaint Manga, cadre du parti au pouvoir Pastef, dépasse largement la simple question de kiosques installés sur les trottoirs. Cette affaire met en lumière les contradictions profondes qui traversent la gestion urbaine au Sénégal, entre légalité administrative, réalités économiques et tensions politiques.
Sur le plan strictement légal, la position du maire Alioune Ndoye repose sur un fondement solide. La gestion du domaine public relève des compétences des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation. C’est un principe inscrit dans la législation sénégalaise qui confère aux communes la responsabilité de réguler l’occupation de l’espace public sur leur territoire.
En exigeant le retrait des kiosques de la Lonase, l’édile socialiste invoque non seulement son autorité légale, mais aussi des préoccupations légitimes : l’encombrement des trottoirs, les entraves à la circulation piétonne, et l’atteinte à l’esthétique urbaine d’un quartier qui constitue le cœur administratif et économique de la capitale.
L’ultimatum d’un mois assorti de “mesures fermes” s’inscrit dans cette logique de réaffirmation de l’autorité municipale face à ce qui est perçu comme une occupation illégale du domaine public.
Face à ces accusations, la Lonase adopte une posture défensive qui mérite attention. L’entreprise publique affirme avoir installé ses kiosques avec l’accord préalable de la mairie, ce qui, si cela est avéré, change radicalement la nature du conflit. Il ne s’agirait plus d’une occupation illégale, mais d’un possible revirement de position de l’autorité municipale.
Au-delà de l’aspect juridique, la Lonase met en avant l’argument économique : ces kiosques créent des emplois et génèrent des recettes fiscales pour la collectivité. Dans un contexte de chômage urbain élevé, particulièrement chez les jeunes, cet argument n’est pas négligeable. Les kiosques de paris constituent une forme d’activité économique semi-formelle qui fait vivre de nombreuses familles.
La société de jeux dénonce également des opérations de déguerpissement qu’elle qualifie d'”arbitraires” et qui auraient causé d’importantes pertes matérielles. Cette accusation soulève la question des procédures suivies : les exploitants ont-ils été prévenus ? Un délai leur a-t-il été accordé ? Ces aspects procéduraux sont essentiels pour apprécier la légalité des actions entreprises.
L’interrogation la plus pertinente soulevée par cette affaire concerne le timing de l’action municipale. Si ces kiosques existent depuis plusieurs années, pourquoi cette offensive soudaine de la mairie ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées.
Premièrement, le changement de paysage politique national avec l’arrivée du Pastef au pouvoir a pu modifier les équilibres locaux. Le nouveau régime, porté par une rhétorique de rupture et de moralisation de la vie publique, a peut-être encouragé certains élus locaux de l’opposition à adopter une posture plus ferme.
Deuxièmement, il est possible que la pression citoyenne se soit accrue. Les habitants et commerçants de Dakar-Plateau ont pu multiplier les plaintes concernant l’encombrement des trottoirs, poussant le maire à agir.
Troisièmement, et c’est l’hypothèse la plus sensible, ce conflit pourrait masquer des tensions personnelles ou politiques entre les deux responsables, transformant un différend administratif en règlement de comptes indirect.



