Le principe de non-rétroactivité des lois pénales, ancré dans l’ordonnancement
juridique sénégalais, constitue une garantie fondamentale pour la protection des
droits des justiciables. Cependant, ce principe n’est pas absolu et admet des
exceptions strictement délimitées. Parmi celles-ci figurent les lois de sûreté, les
lois expressément déclarées rétroactives par le législateur, ainsi que les lois
interprétatives. Ces dernières, en raison de leur nature spécifique, offrent une
alternative juridiquement fondée et équilibrée face aux défis complexes,
notamment pour modifier les lois d’amnistie.
Les lois interprétatives se distinguent par leur capacité à clarifier et à limiter la
portée d’une loi antérieure, sans remettre en cause les principes de sécurité
juridique. Elles constituent un mécanisme essentiel permettant d’opérer une
révision ciblée et juridiquement fondée, tout en préservant un équilibre délicat
entre les impératifs de justice, de cohésion sociale et de respect des normes
étatiques.
Les Lois Interprétatives : Définition et Cadre Juridique
Les lois interprétatives se définissent comme des dispositions législatives visant
à préciser ou à expliciter le sens et la portée d’une loi préexistante.
Contrairement aux lois modificatives, elles n’introduisent pas de nouvelles
règles de droit, mais éclairent l’intention initiale du législateur. Leur rétroactivité
est inhérente à leur fonction, dans la mesure où elles n’imposent ni obligations
nouvelles ni infractions supplémentaires, mais confirment la signification
originelle d’une loi déjà en vigueur.
Ce caractère rétroactif est généralement accepté par la doctrine et la jurisprudence,
car il vise à renforcer la clarté et la prévisibilité du droit, tout en évitant les conflits
d’interprétation susceptibles de compromettre la cohérence judiciaire.
Avantages des Lois Interprétatives :
- Préservation de la sécurité juridique : En clarifiant la portée des lois,
elles garantissent une transition législative fluide, respectant les droits
acquis tout en limitant les incertitudes.
- Résolution des ambiguïtés normatives : Elles dissipent les zones d’ombre
susceptibles de générer des divergences interprétatives ou des incohérences
dans l’application des lois.
- Respect des principes fondamentaux : Contrairement à une abrogation
qui peut porter atteinte aux droits acquis, les lois interprétatives s’inscrivent
dans une démarche d’ajustement normatif progressif et respectueux.
Sur l’Abrogation des Lois d’Amnistie :
Les lois d’amnistie ont pour vocation de favoriser la réconciliation nationale en
effaçant les conséquences pénales de certains actes. Toutefois, leur abrogation
soulève des enjeux complexes tant sur le plan juridique que politique :
- Risque de fracture sociale : La remise en cause des bénéfices d’une loi
d’amnistie pourrait raviver des tensions sociales, notamment lorsque les
bénéficiaires sont nombreux ou occupent des positions influentes.
- Contentieux juridiques potentiels : Les bénéficiaires pourraient contester
l’abrogation devant les juridictions compétentes, invoquant la violation de
leurs droits acquis ou des principes de non-rétroactivité.
Une Approche Équilibrée : Le Recours aux Lois Interprétatives
Plutôt que de procéder à une abrogation, souvent perçue comme une mesure
drastique, le recours aux lois interprétatives apparaît comme une solution
juridiquement équilibrée et politiquement viable. Cette démarche permet
notamment de :
- Redéfinir les contours de l’amnistie : Préciser les infractions exclues,
telles que les crimes de guerre, les violations graves des droits humains ou
les infractions économiques majeures.
- Assurer une transition normative progressive : Limiter les effets
disruptifs d’une rupture législative brutale, tout en préservant les
fondements de la sécurité juridique.
- Aligner la législation sur les engagements internationaux : Concilier les
clarifications apportées avec les obligations découlant des conventions
internationales ratifiées par le Sénégal.
Exemple d’Application Pratique :
Une loi interprétative pourrait intervenir pour restreindre la portée d’une loi
d’amnistie relative aux infractions économiques. Par exemple, elle pourrait
exclure du champ de l’amnistie des actes tels que le blanchiment de capitaux ou
la corruption, violation des droits fondamentaux, les infractions contre les deniers
etc., tout en respectant l’esprit initial de la loi. Cette clarification renforcerait la
lutte contre l’impunité, tout en maintenant une sécurité juridique pour les
bénéficiaires légitimes.
Recommandations :
Dans un contexte où l’abrogation des lois d’amnistie pourrait entraîner des
contentieux juridiques complexes et des tensions sociopolitiques, les lois
interprétatives constituent une alternative viable et efficace. À cet égard, les
recommandations suivantes sont proposées :
- Encourager l’adoption de lois interprétatives afin de clarifier le champ
d’application des lois d’amnistie existantes et d’assurer une meilleure
régulation juridique.
- Exclure clairement les infractions graves du champ de protection des lois
d’amnistie, garantissant ainsi leur conformité avec les standards
internationaux et renforçant la crédibilité des engagements du Sénégal.
- Assurer la préservation des droits acquis, tout en introduisant des
ajustements législatifs ciblés pour répondre aux évolutions des normes
sociales et juridiques.
- Renforcer la coopération internationale pour la mise en œuvre de ces
lois, afin de garantir leur alignement avec les engagements conventionnels
du Sénégal et favoriser leur efficacité à l’échelle mondiale.
Cette approche permettrait de concilier les exigences de justice, le respect des
droits fondamentaux et la stabilité normative, tout en consolidant l’État de droit.
El Amath THAM,
Président « JUSTICE SANS FRONTIERE »
justice100f@gmail.com