Prisons sénégalaises : L’ONU alerte sur le risque d’explosion de la « poudrière »

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Le système carcéral sénégalais traverse une crise sans précédent, marqué par une surpopulation alarmante et des conditions de détention inhumaines. La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la torture, Alice Jill Edwards, a tiré la sonnette d’alarme à l’issue de sa visite officielle dans plusieurs établissements pénitentiaires du pays. Elle exhorte le gouvernement à prendre des mesures d’urgence pour désamorcer cette situation explosive.

Lors de son inspection de cinq prisons sénégalaises, la Rapporteuse spéciale a constaté des conditions de détention effroyables. « Certaines pièces étaient littéralement bondées de prisonniers. Les gens dormaient par quarts et dans les couloirs, et il y avait beaucoup trop peu d’installations sanitaires. De telles conditions de détention ne peuvent pas devenir normales. La situation est critique », relate-t-elle.

« La surpopulation que j’ai vue dans les prisons est dramatique et inhumaine, a déclaré Alice Jill Edwards, mettant en garde les autorités contre le risque d’exposition. Je crains fort que le problème de la surpopulation ne soit une poudrière qui pourrait exploser à tout moment, entraînant des émeutes, des violences ou la propagation rapide et incontrôlable de maladies infectieuses et transmissibles ».

Malgré les efforts des directeurs de prison, la pression sur le système pénitentiaire est telle qu’ils se voient contraints de réduire les normes les plus élémentaires, notamment en matière d’alimentation et de séparation des différentes catégories de détenus.

Face à cette situation critique, la Rapporteuse spéciale appelle à des « mesures exceptionnelles » pour soulager le système carcéral. Parmi les solutions proposées figurent : « Une réduction automatique des peines de 20 % pour les détenus purgeant des peines de trois ans ou moins. La libération immédiate des prisonniers en détention provisoire depuis plus d’un an, sauf pour les infractions les plus graves. Une révision globale des peines pour éviter l’incarcération systématique ».

Elle souligne également « l’urgence d’une réforme judiciaire » afin que la détention provisoire devienne l’exception plutôt que la règle. « Même avec ces mesures, le problème sous-jacent ne sera pas résolu si les défis en amont de la lenteur de l’administration de la justice ne sont pas également résolus », a-t-elle averti. « Un changement d’approche est nécessaire, guidé par de nouveaux critères pour les procureurs et les juges afin que le maintien en détention provisoire jusqu’au procès devienne l’exception plutôt que la règle. J’ai rencontré trop de détenus qui sont en attente d’un procès depuis des années. C’est inacceptable », dénonce-t-elle.

Alice Jill Edwards a aussi plaidé pour la libération des femmes incarcérées pour avortement médical, y compris en cas de viol ou d’inceste, une détention en contradiction avec le Protocole de Maputo, ratifié par le Sénégal en 2004.

Par ailleurs, elle a demandé l’abrogation de la loi d’amnistie couvrant les violations des droits de l’homme commises entre mars 2021 et février 2024 lors des manifestations. Elle insiste sur la nécessité d’enquêter sur ces événements, d’établir la vérité et de garantir justice et réparations aux victimes.

Enfin, la Rapporteuse spéciale encourage le Sénégal à rejoindre l’Alliance pour un Commerce sans torture, une initiative internationale visant à réguler l’utilisation et la vente d’équipements répressifs.

Son rapport détaillé sera présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars 2026. D’ici là, la balle est dans le camp du gouvernement sénégalais pour éviter que ses prisons ne deviennent le théâtre d’une catastrophe imminente.

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