Dans Le Monde s’effondre de Chinua Achebe, Okonkwo incarne l’homme fier et enraciné dans ses traditions, mais qui refuse de se soumettre aux nouvelles règles imposées par la colonisation. Lorsque le chef du gouvernement blanc, Gregory Irwin, vient le chercher pour le juger, il préfère se donner la mort plutôt que d’affronter l’humiliation d’un tribunal colonial. Son suicide est un ultime acte de résistance, une façon de préserver sa dignité face à un monde qui s’effondre.
Aujourd’hui, au Sénégal, c’est un autre effondrement qui se joue, mais cette fois, ce sont les femmes qui en sont les victimes. À l’inverse d’Okonkwo, elles ne choisissent pas la mort comme un acte de révolte, mais la subissent à petit feu, piégées par des standards de beauté imposés par la société. La quête de formes voluptueuses les pousse à consommer des substances dangereuses , les fameuses « boulettes ou suppositoires pour fesses »,qui ravagent leur santé et, parfois, les tuent.
Dans de nombreuses familles sénégalaises, l’apparence devient une question de survie sociale. Une femme mince est perçue comme malheureuse en ménage, voire abandonnée par son mari. La corpulence est associée à la prospérité, à la féminité, à la séduction. Face à cette pression, certaines femmes se tournent vers des produits chimiques vendus sans aucun contrôle sur les réseaux sociaux.
Ces boulettes et autres substances aux compositions inconnues promettent des hanches plus larges, des fesses plus rebondies, un corps plus désirable. Mais le prix à payer est élevé , hémorragies, infections, insuffisances rénales et parfois la mort.
« J’ai perdu ma femme il y a quelques jours à cause des boulettes et de l’oméga 3. Elle souffrait de selles hématiques, avec du sang qui s’écoulait chaque fois qu’elle allait aux toilettes. » témoigne un homme
Pendant que des femmes meurent, le marché prospère. Sur les réseaux sociaux, ce commerce mortel en toute impunité s’accentue. Dess vendeurs sans scrupules proposent ces produits comme une solution miracle, sans aucune régulation. Aucun contrôle des autorités sanitaires, aucune interdiction formelle, aucun suivi médical. L’État semble fermer les yeux sur un phénomène qui tue.
Les médias et les réseaux sociaux enfoncent le clou en valorisant un idéal de beauté standardisé : faux cils, faux ongles, faux cheveux, teint éclairci. La femme noire naturelle est reléguée au second plan, et celles qui refusent de céder à ces diktats sont souvent marginalisées.
Si Okonkwo a choisi de mourir pour préserver son honneur, les femmes sénégalaises d’aujourd’hui meurent dans l’indifférence générale. Mais contrairement à Okonkwo, elles ne choisissent pas : elles sont les victimes d’un système qui les pousse vers cette issue tragique. Le rôle de l’État est -il de réguler ou de regarder mourir ?
L’État a une responsabilité directe. Il doit Interdire la vente de ces substances toxiques et sanctionner les vendeurs, réguler les produits cosmétiques pour éviter les dangers et entre autres sensibiliser la population pour déconstruire ces standards de beauté artificiels.
Aujourd’hui, l’effondrement du Sénégal est bien réel. Et tant que rien ne sera fait, d’autres vies seront sacrifiées sur l’autel d’une beauté mortelle