Sénégal : Emprunter, oui mais dans la clarté

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Le gouvernement du Sénégal est dans son plein droit lorsqu’il sollicite les marchés financiers – notamment via UMOA-Titres ou les marchés internationaux – pour financer ses besoins budgétaires et honorer ses engagements. Cette démarche s’inscrit dans le cadre légal défini par la Loi de Finances 2025, qui a autorisé le gouvernement à emprunter jusqu’à 4 573,88 milliards FCFA de ressources de trésorerie pour couvrir à la fois l’amortissement de la dette (2 923,44 milliards FCFA) et le déficit budgétaire (1 650,44 milliards FCFA).

Cependant, les citoyens et les parlementaires sont, eux aussi, dans leur droit légitime lorsqu’ils demandent à être éclairés sur l’utilisation effective de ces ressources. Malgré les montants massifs levés sur les marchés, la population reste largement dans le flou. Les rapports d’exécution budgétaire du 4e trimestre 2024 et du 1er trimestre 2025 n’ont toujours pas été publiés, ce qui alimente un climat d’opacité et de méfiance.

Selon le cumul des émissions du début de l’année 2025 au 15 mai 2025 effectué par UMOA-Titres, le montant emprunté par le Sénégal sur le marché régional s’élève à 653 milliards de FCFA : 285,85 milliards en Bons du Trésor (court terme) et 367,24 milliards en Obligations du Trésor (moyen et long termes). À cela s’ajoute une émission d’Eurobonds en juin 2024 pour un montant de 750 millions de dollars (environ 453,5 milliards FCFA). En tout, environ 1 106,5 milliards FCFA ont été mobilisés à mi-mai 2025, soit moins de 25 % du plafond autorisé.

Toutefois, les euro-obligations sénégalaises ont connu une dégradation en 2025. Le 24 février 2025, Moody’s a abaissé la note souveraine du Sénégal de B1 à B3 avec une perspective négative, en raison de préoccupations sur la transparence budgétaire. Le 25 mars 2025, Bloomberg a rapporté une chute des Eurobonds à échéance 2048 à 66,55 cents sur le dollar à Londres, après que le FMI a annoncé un retard dans les discussions avec le Sénégal. Par ailleurs, les taux d’intérêt exigés par les investisseurs ont atteint plus de 12 % sur les marchés européens en mars 2025.

Dans ce contexte de tension, le soutien du FMI est vital. Il ne s’agit pas seulement d’un appui financier à taux réduit (1-2 %), mais d’un signal fort de discipline budgétaire. Le FMI permet de renforcer les réserves en devises et d’ouvrir l’accès à d’autres bailleurs : Banque mondiale, BEI, BAD, etc. En somme, sa présence est une garantie de rigueur et de stabilité dans une période où les marchés sont volatils.

Étant donné que le retour sur les marchés des euro-obligations est fort probable dans les mois ou années à venir — notamment pour financer de grands projets structurants ou refinancer des échéances passées —, le Sénégal a tout intérêt à renouer rapidement avec le FMI. Un accord formel avec le Fonds Monétaire International ne se limite pas à un appui budgétaire. Il offre une garantie de crédibilité financière pour les investisseurs internationaux et envoie un signal de discipline macroéconomique. Cette confiance retrouvée peut alors pousser à la baisse les taux d’intérêt exigés lors des prochaines émissions d’euro-obligations.

En somme, le FMI agit comme catalyseur de confiance et permet au pays de réduire le coût de sa dette tout en renforçant sa capacité de financement.

Le Sénégal doit repenser sa stratégie de financement. Il doit mieux tracer l’usage des fonds, revenir à un programme encadré avec le FMI, et adopter une gestion prudente de l’endettement. Cela passe aussi par un retour progressif à un déficit budgétaire autour de 3 % du PIB, en ligne avec les critères de convergence de l’UEMOA.

Emprunter est un droit, mais en démocratie, cela suppose aussi un devoir de transparence et de responsabilité.

Pr Amath Ndiaye
FASEG-UCAD

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